Clap de fin pour le mouvement de l’agrobusiness, début de la lutte du monde paysan ?
[ Nous n’avons pas proposé d’analyse profonde du mouvement des agriculteurices jusque-là, préférant ne pas juger trop vite un mouvement bien plus composite et hétérogène que ce que la couverture médiatique mainstream nous montrait. Si nous ne vous proposons pas ici une analyse détaillée des racines de ce mouvement, de la construction progressive du secteur agricole que nous connaissons aujourd’hui, dominé par la perspective industrielle et les institutions financières, nous pouvons tout de même faire un point sur la situation. ]
Voilà, la FNSEA a appelé les agriculteurices à lever les blocages, les convois quittent Rungis et Paris et les tracteurs vont retrouver leurs champs. La source de satisfaction de la FNSEA ? Les annonces du gouvernement, bien évidemment, victoire du mouvement d’après le syndicat de l’agrobusiness.
La ligne des annonces, c’est Gabriel Attal qui nous la donne : “Nous devons assumer de produire à l’opposé de toutes les thèses décroissantes. Et protéger notre agriculture contre la concurrence et les aléas.”
Si ce discours a l’air anodin, il est en réalité le reflet d’une fuite toujours plus loin dans les logiques néolibérales et anti-écologiques, au service des plus gros exploitants de l’agro-industrie.
La “décroissance” est brandie ici comme épouvantail, de la même façon que l’étaient les “Amish” et “lampes à huile” de Macron il y a quelques années lorsqu’il voulait décrédibiliser une écologie pourtant peu radicale. Une manière de légitimer de grands reculs écologiques au nom de la protection d’agriculteurices désigné.e.s alors comme les fers de lance de l’écologie au prétexte que ces dernier.e.s sont au contact de la terre, de plantes et d’animaux, un raisonnement imparable. Moins au contact de la nature, néanmoins, lorsque les réglementations sur les haies et jachères, par exemple, sont remises en cause.
“Protéger l’agriculture”, mais protéger quoi, qui, exactement ? La ‘mise en pause” du plan eco-phyto (déjà reporté de nombreuses fois depuis plus de dix ans) vient ainsi à l’encontre de la réduction des pesticides et produits phytosanitaires, réduction néanmoins indispensable pour la santé des agriculteurices et des écosystèmes (ainsi que des personnes se trouvant à proximité des exploitations et finalement de toute la population). Il semble alors que nous ne protégeons ni les terres et organismes qui permettent l’agriculture, ni les agriculteurices, pourtant au centre de celle-ci.
Le principe de “protection” se retrouve également, sans aucun doute, dans l’annonce selon laquelle aucun pesticide ne pourra être interdit en France tant que la substance active qu’il contient n’aura pas été interdite dans le cadre européen. Si jamais une substance est toxique, donc, tant que la bureaucratie européenne n’aura pas légiféré sous l’influence des lobbies, elle pourra être utilisée sans limites. On peut s’interroger sur la “protection” affirmée par Attal, mais pas sur l’absence de la moindre “précaution” qui serait toutefois judicieuse afin de protéger le système agricole.
Et puis, explique-nous, Attal, comment tu protèges contre la concurrence, et de quelle concurrence ? Les lois semblent aujourd’hui protéger les gros conglomérats agro-industriels et l’agriculture intensive de la “concurrence” que pourraient représenter de nouvelleaux agriculteurices qui cherchent à s’installer et de celleux qui tentent du bio en agriculture extensive ou de la permaculture. Marc Fesneau nous promet aussi de protéger contre le végétarisme/véganisme en réaffirmant la parution très prochaine du décret pour interdire l’appellation « steak végétal ».
Pour protéger l’agriculture, Attal nous propose également d’inscrire la souveraineté dans la loi. Outre sa formulation incompréhensible et le fait que celle-ci était déjà inscrite dans la loi, si cela se traduit réellement en actes, on peut s’inquiéter : d’après l’économiste H. Level, “La souveraineté alimentaire est ainsi devenue l’argument d’autorité permettant de poursuivre des pratiques qui génèrent des catastrophes écologiques et humaines majeures.” Protéger des aléas, vous avez dit ?
Et quelle agriculture protège-t-on ? Si rien ne vient empêcher l’épuisement des sols, l’accaparement de l’eau par une minorité d’exploitants, la destruction des écosystèmes, en ne cherchant pas accompagner l’agriculture vers des variétés plus adaptées aux changements climatiques qui viennent, en allant à l’encontre de la végétalisation de l’alimentation, si nous ne soutenons pas l’installation de nouvelleaux agriculteurices au lieu de laisser de grands entrepreneurs accaparer les terres, etc. ce n’est certainement pas l’agriculture de notre futur, l’agriculture de nos enfants si ce n’est l’agriculture de notre présent, que nous protégeons.
Quant aux personnes qui sont contraintes de quitter les blocages, délaissées par les dirigeants de la FNSEA (faisant alors soudain face aux forces de l’ordre), elles peuvent toujours arroser leurs champs de leurs larmes. La question de la répartition équitable de l’eau n’a pas été abordée bien que la création de toujours plus de méga-bassines soit annoncée, mais surtout, le revenu agricole ou paysan est complètement absent des annonces. Pour la confédération paysanne, “les dirigeants de la FNSEA ont obtenu du gouvernement des réponses liées à leurs intérêts personnels d’agri-managers spéculateurs [permettant] au gouvernement de s’exonérer de répondre à la question centrale de cette mobilisation : le revenu.”. Et la mobilisation devrait s’arrêter là.
Notons aussi qu’aucune décision ou aucun débat sur la question de la fuite en avant de la surproduction de viande [ultra-destructrice de nos écosystèmes] ne verra le jour. Rien non plus sur le sort des travailleureuses agricoles, immigré-es, sans papiers, précaires qui font tourner les exploitations de certains présents sur les blocages.
Si le gouvernement a su gérer cette « crise » rapidement, rien ne garanti que ce sera le cas lorsque tous les pauvres s’y mettrons.
Alors, si le gouvernement dit “soyons au service des dirigeants de la FNSEA et après nous le déluge”, nous nous devons de soutenir les luttes paysannes qui ne font que commencer, incarner le déluge qui renversera ce système injuste et insoutenable à terme.